Bien sûr, on n’apprend rien de révolutionnaire sur la série, encore moins sur ce qui nous attend, si ce n’est l’identité et l’histoire du nouveau shérif Truman. Cela dit, The Secret History of Twin Peaks est une lecture plaisante pour ranimer la flamme avant la troisième saison.

Par définition, un roman ne peut pas rendre la nature profondément cinématographique de l’œuvre originale. Ce n’est d’ailleurs pas le propos.

J’ai écrit ailleurs: « Lynch a tellement ancré sa ville dans l’espace-temps, qu’elle s’en trouve projetée dans son propre continuum ». On sait qu’aux prémices de cet univers se trouve une carte :

 

Carte de Twin Peaks dessinée par David Lynch
Twin Peaks – Carte originelle

 

Avec son ouvrage, Mark Frost complète cette géographie par un traité historique.

Il y mêle la vie de la ville fictive à une multitude d’éléments de l’histoire des Etats-Unis. Déjà emblématique d’une certaine vision du pays, cette bourgade perdue dans l’état de Washington résonne avec le roman national, de la conquête de l’ouest au Watergate, en passant par tous les mystères et l’histoire ésotérique du pays.

Le livre reflète la série dans sa structure en plusieurs couches narratives. Le gros du texte est un dossier compilé et commenté par un mystérieux archiviste (dont on n’apprend l’identité qu’à la fin, comme il se doit), dossier lui-même annoté par un non-moins mystérieux agent du FBI dont on ne connaîtra que les initiales « TP ». Déjà, un jeu de miroirs et de dédoublements s’installe entre les deux voix de ce récit. D’autres voix plus familières – issues directement de la série – font quelques apparitions, et le tout est fermement attaché à un fond historique vérifiable. (J’ai passé mon temps à taper les mots clés sur Wikipedia pour distinguer le vrai du fictif pendant la lecture, approfondissant par la même occasion ma connaissance de l’histoire des USA.)

Un autre reflet intéressant, c’est celui qui laisse entrevoir les projets non aboutis de Mark Frost et David Lynch. On sait que Twin Peaks devait s’intituler à l’origine Northwest Passage, or toute la première partie du roman retrace l’expédition de Lewis et Clark à la recherche de ce fameux passage du nord-ouest (une hypothétique route fluviale qui permettrait de relier le centre des Etats-Unis à la côte pacifique). Encore une fois avec de nombreux détails historiques réels, Frost fait de William Clark l’un des premiers témoins occidentaux des mystères de Twin Peaks.

Parmi les projets Lynch/Frost qui n’ont pas été produits, il y avait The Lamurians [pourquoi avec un ?]. On retrouve dans le livre la trace de ce peuple caché, issu des récits (réels, encore une fois) de Richard Sharpe Shaver dans Amazing Stories en 1945.

Lemurians
Amazing Stories

Pour tout dire, dans la suite de cette veine, il est décevant de ne pas trouver de référence à Marilyn Monroe, puisqu’elle faisait partie également des intérêts communs de Lynch et Frost.

Ma théorie personnelle sur la Chambre rouge de Twin Peaks est qu’il s’agit, comme le dit le nain, de la « salle d’attente » où les idées brutes des créateurs séjournent avant de trouver un sens dans le monde fictif. Ce recyclage des recherches originelles de Mark Frost, injecté dans l’univers de Twin Peaks est un autre reflet intéressant de la structure de la série.

Le cœur du récit est une longue enquête sur les réalités ou la couverture des OVNI par le gouvernement américain. Même si c’est une thématique qui existe dans la deuxième saison et si elle est menée de la même manière que le reste du livre, elle n’arrive pas à susciter le même intérêt. En revanche, c’est dans le complot qui entoure cette thématique que l’on retrouve des liens inattendus avec la théosophie, voire la scientologie, et que le monde mystique de Twin Peaks refait son apparition.

Twin Peaks, et plus précisément la caverne du hibou dans la forêt de Ghostwood, est présenté comme le point focal de nombreux mystères qui, eux-mêmes, s’enroulent dans de nombreux secrets, tous inscrits au cœur de l’histoire américaine. Et dans ce mille feuille, on revient avec plaisir sur la petite histoire des personnages de la série.

Toutes les feuilles de cette pâtisserie n’ont pas la même saveur. Elles génèrent l’impression d’un manque de cohérence, parfois, mais l’ensemble représente une lecture agréable. Le livre lui-même est un très bel objet, avec une mise en page et des illustrations soignées qui le placent un cran au-dessus des autres publications promotionnelles autour de la série.

Snoqualmie
Dès qu’on ouvre le livre, on découvre cette photo aérienne de Snoqualmie (vers 1940): une agréable découverte quand on a visité la région.

Alors, des révélations ? Très peu. Des explications? Guère plus. Ce roman se lit comme une mise en bouche ou, pour continuer de filer la métaphore, un magazine de salle d’attente.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.