Les miroirs sont les portes par lesquelles entre la mort. Regardez-vous toute votre vie dans un miroir et vous verrez la mort travailler sur vous. (Jean Cocteau)
Jean Marais campe un Orphée obsédé par la figure de la mort dont le domaine se trouve de l’autre côté du miroir.
Le ton suranné des films de l’époque peut rebuter le spectateur du 21e siècle, mais si on regarde l’oeuvre de Cocteau par le filtre de Twin Peaks, c’est toute une nouvelle dimension d’interprétation qui apparaît.
Le nombre de similitudes entre Orphée et le monde des « loges » est incroyable.
Il y a, bien entendu, la thématique du monde des esprits et de leur interaction toute cinématographique avec celui des vivants. Plus encore que la photographie — que certaines croyances voient capturer les âmes — le cinéma capture les mouvements et la voix des défunts, les rendant, par écran interposé, accessibles aux mortels dans une illusion réaliste. Accessibles à travers une barrière, un miroir, que cet Orphée traverse grâce à des gants « magiques ».
Les jeux sur l’inversion du mouvement sont une signature connue de Jean Cocteau, notamment dans La Belle et la Bête. Ici, ils donnent l’impression que les gants de caoutchouc se glissent par eux-mêmes sur les mains du héros.
Mais au-delà de la thématique et des effets cinématographiques, ce qui frappe surtout l’amateur de Twin Peaks dance ce film, se trouve sur le sol de la chambre d’Orphée.
Le parquet à bâtons rompus, somme toute courant dans les habitations anciennes, filmé en noir et blanc, rappelle étrangement le sol de la chambre rouge de Twin Peaks.
D’ailleurs, à mieux y regarder, le motif en zigzags noirs et blancs qui reste dans l’esprit du téléspectateur était loin d’être aussi contrasté lors de sa première apparition dans l’épisode 3 (ou la fin « européenne ») de Twin Peaks.
Après Twin Peaks, on se prend donc à regarder Cocteau d’un œil neuf, ou du moins avec une vision « ré-encodée ».
[wc_box color= »primary » text_align= »left »]Je n’ai vu ce film qu’après avoir étudié l’œuvre de David Lynch en profondeur. Je n’avais encore rien lu sur ce qui pouvait lier Cocteau et Twin Peaks — après tout, j’étais un des premiers en France à me pencher sur la série. La surprise a été totale. Les créatures fantastiques de l’autre côté du miroir, la mort du protagoniste incarnée dans un personnage charismatique, les scènes filmées à l’envers et le parquet : je ne pouvais pas croire qu’il s’agisse de coïncidence. Je suis entré en résonance avec ce film d’une manière inattendue.
C’est donc par ricochet que cette œuvre arrive sur le mur de l’inspiration. Dans le monde des Chroniques d’Enghashel, on ne passe pas à proprement parler de l’autre côté du miroir et les limbes ne sont pas le domaine de la mort, mais on passe un portail vers un univers où les symboles règnent en maîtres absolus.
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