Opération blanche pour l’éditeur, et chronophage pour les auteurs, les Heures joyeuses, malgré un petit succès d’estime, n’ont jamais atteint leur dixième épisode.
Pourtant, d’autres idées étaient en gestation. Pour ceux qui sont restés sur leur faim toutes ces années (les deux où trois d’entre vous!), voici ce qui aurait pu se passer.
J’ai encore rêvé d’Eve
Idée originelle de Sébastien Monod et Alexis Clairmont.
Laurent est perturbé par un rêve où il se voit nu, épouser Eve-Marie dans une mosquée. Chacun y va de son interprétation (symbole du rapport à la mère / envie de se caser / peur des femmes…) mais à force de creuser, un détail apparemment insignifiant (un calice renversé) démêle l’écheveau des souvenirs et on apprend que l’étudiant a vécu une scène traumatisante le jour où sa mère lui a annoncé son divorce : elle l’a surpris en train de se masturber sur un album d’Alix.
La vraie histoire, c’est celle du Paradis, en danger de démolition à cause d’un projet immobilier. Les voisins s’organisent pour sauver le quartier et une vieille, vieille dame finit par se souvenir que le bar pourrait être classé « monument historique » à l’instar de la Coupole à Paris : quelque part sous les peintures, il y a des fresques originales du mouvement local – et somme toute peu connu –des « sous-réalistes ».
Synopsis : Sébastien Monod & Alexis Clairmont
Alors que Laurent raconte son rêve, une petite vieille arrive au Paradis pour boire un dernier verre au souvenir de ce bon vieux bar… qui va être détruit. Choc et consternation.
Tout le monde cherche à s’organiser pour sauver le bar, mais dans le même temps, chacun y va de son interprétation. Noël évoque son rapport à la mère (Eve = mère de l’humanité ; Marie = mère de Dieu…), Greg se focalise sur la nudité, Thomas insiste pour voir des détails sur l’enfance (malheureuse ?) de Laurent dans son rêve…
Les voisins décident de s’unir pour sauver le quartier, où commencent à apparaître des problèmes d’homophobie latente.
Il y a une période de désespoir dans le bar. Qu’est-ce qu’on va devenir ? On envisage les actions les plus insensées pour sauver le bar/ le quartier.
Virginie focalise sur le côté œcuménique du rêve (Mosquée/église/temple) et un détail, la coupole du monument, déclenche l’idée de sauver le bar en le déclarant « monument historique ». C’est arrivé à la Coupole de Paris… Mais quelle valeur historique peut bien avoir le Paradis ?
La vieille raconte les sous-réalistes. Tout le monde aide à l’excavation des œuvres des sous-réalistes. (Dino une pioche à la main…)
Laurent n’a toujours pas trouvé la clé de son rêve. C’est évidemment Dino qui débloque ses souvenirs avec le seul mot « calice ».
Calice / Alix, ce presque anagramme fait resurgir le souvenir embarrassant de Laurent.
- Cet épisode devait arriver avant Jour de fierté, mais des contraintes l’ont empêché de voir le jour à temps. Il avait encore sa place dans la suite des aventures des enfants du Paradis.
- L’idée de la mise en danger du Paradis était un motif récurrent.
- Cet épisode était le plus avancé des projets en cours de développement.
Idées restées à divers stades de développement
Mamours en héritage
Proposition d’Antoine Cupial. On reprend le sujet de la Cage aux folles 2 ou 3 (un vieil oncle lègue sa fortune à Zaza si elle se marie) et on l’inverse : une vielle tante (jeu de mots !) lègue sa fortune à un ou une hétéro à condition qu’il ou elle devienne homo.
- Synopsis établi.
Riri, sa vie, son œuvre (ou Le blues de Noël)
Proposition de Marc-Eric Hédenne. Un poète maudit menace de se suicider au Paradis. Noël a de grosses inquiétudes au sujet de ses affaires et se dispute avec Thomas.
- Synopsis établi.
Quitter Kat
Obsession d’Alexis Clairmont: Virginie a une liaison avec Kat (depuis Fièvre afteuse), presque exclusivement pour publier ce jeu de mot pourri.
Sister Act-Up
Virginie est une très belle jeune femme mais elle en a marre de ne jamais savoir résister aux avances. Elle décide d’arrêter le sexe et de se consacrer à aider son prochain (en l’occurrence en tentant de fonder un cellule locale d’Act-Up ; pour mémoire : son frère est séropo depuis six ans).
L’amour aux trousses
Greg est soudain très populaire et en devient parano. Idée développée par Antoine Cupial.
Exode à l’Exit
L’Exit ferme momentanément et sa clientèle envahit le Paradis.
Play it again, Dino
Un remake de Casablanca.
Vivre et mourir à Sainte-Rita
Léa contre la mafia – un thriller suburbain, et sa suite: Les types de Saint-Claude.
Les coulisses du monde
Un épisode vu des toilettes…
Modes & travelos
Proposition d’Antoine Cupial. L’histoire d’un homo macho.
Et aussi:
Ève-Marie lève Thoiry [mouais]; Quand Méhari rencontre Sally (Greg rencontre quelqu’un en voiture); Les ‘Lène et les garçons / glaçons (avec Mylène, Marie-Hélène et Marilène); Leffe-toi et marche; La Drague-Gouine; L’effet Minou; Le jeune et le roseau / le gène et le roseau (On a envisagé que Dino ait un fils, et que ce soit Rémi); Rencontre du Nieme type; Supplice party; Sitcoming-out; D’où viens-tu Tony ? (D’après D’où viens-tu Johnny, western camarguais de 1963 avec Johnny Halliday); In absentia (un épisode en l’absence des personnages principaux) et Plus qu’un ouragan, moins qu’une quiche lorraine (D’après la réplique oubliée de Blake Carrington à sa future femme dans le premier épisode de Dynastie: « Tu dis m’aimer, mais tu m’aimes comment ? Plus qu’un ouragan ? Moins qu’une quiche lorraine ?.. »)
Mais le véritable dixième épisode, ce devait être celui-ci:
Le PaCSage de mon meilleur ami
Dans un synopsis de 2002, j’avais repris la structure de la comédie romantique Le Mariage de mon meilleur ami (Paul John Hogan, 1997) et je m’étais lancé dans un début de premier jet.
Un soir de pluie battante, les enfants du paradis arrivent tard aux heures joyeuses et Dino s’inquiète de ce retard inhabituel. Greg explique qu’ils viennent de finir de bâcher le jardin pour la fête de pacsage qui va avoir lieu le lendemain rue Rabelais. Il se félicite de voir que Noël, son meilleur ami, a dépassé ses angoisses pré-maritale et retrouvé un comportement normal.
Au même moment, Laurent est au téléphone avec Tiburce et se félicite lui aussi de ne plus avoir de sentiments pour Thomas, son meilleur ami. C’est évidemment le moment que ce dernier choisit pour venir lui parler (double appel ?) de la photo qu’il a vue dans Fièvre afteuse et lui demander s’il a des sentiments pour lui.
Plus tard dans la soirée Greg gaffe et fait comprendre à Thomas que Noël a peut-être fauté à Jakarta (dans Bons baisers de Bravachie).
Thomas, dévasté, vient dire à Laurent qu’il aurait mieux fait de se pacser avec lui. Après tout, ils ont beaucoup plus en commun. Virginie assiste à la scène.
L’idée de ce premier acte, c’est de passer très vite du bonheur sans tache à un premier incident mineur et facilement réparable, avec une seconde couche à peu près aussi bénigne mais rendue insurmontable par le quiproquo.
Ces situations de départ ne doivent en aucun cas menacer le dénouement.
Dans les complications, je devais citer d’autres comédies romantiques comme Mary à tout prix, etc. Noël s’embourbe dans sa paranoïa jusqu’à imaginer un complot bravache de grande envergure. Greg se planque dans des endroits toujours plus improbables; il est responsable du quiproquo et c’est lui qui en délivrera la clé. A la fin du deuxième acte, bien entendu, le pacsage est annulé, mais tout finit par rentrer dans l’ordre. Evidemment que Noël n’a pas couché avec Awang. Evidemment que Thomas ne va pas tomber amoureux de Laurent.
L’arc suivant
La situation d’arrivée à la fin du Pacsage de mon meilleur ami n’était pas encore clairement définie, mais plusieurs choses étaient établies comme sûres :
- Thomas et Noël sont officiellement liés
- Noël peut envisager de changer de profession, vendre sa boutique et faire quelque chose qui se rapproche plus de son caractère patriarcal.
- Thomas a avoué à Laurent qu’il avait (eu ?) des sentiments pour lui.
- Laurent ne va pas tarder à quitter la rue Rabelais pour prendre un appartement. Il est encore avec Tiburce (pour combien de temps ? à voir selon l’inspiration de chacun).
- Virginie est toujours avec Kat… mais on prévoit toujours un épisode intitulé « Quitter Kat ».
- Greg est toujours célibataire, la situation est assez riche pour que ça dure.
- Dino demeure inchangé, il est toujours avec Maître Folas.
Au cours de l’arc, il était question d’éloigner Laurent du centre de la scène et de développer un peu les autres. On allait introduire celui qui deviendrait son colocataire (il commençait à se dessiner dans Fièvre afteuse : Tony, un personnage beaucoup moins politiquement correct que le reste de la bande, avec un défaut physique et un franc parler qui ne le rend pas forcément très sympathique pour les autres. Laurent et lui seraient copains comme cochon, évidemment)
L’arc devait se poursuivre en « ré-humanisant » le personnage de Thomas, pour qu’il ne paraisse plus trop lisse et qu’il ait le droit de participer à l’action.
Hors champ, une tragédie devait frapper la famille Defortescu. La sœur de Thomas mourait dans un accident de voiture et son beau-frère abandonnait les sept enfants à la belle famille. Les parents ne pouvant pas assumer, c’étaient Thomas et Noël qui héritaient de la smala, ouvrant la porte au traitement de l’homoparentalité.
A terme, on finirait par se rendre en Bravachie. On prévoyait aussi l’exploration du passé de Dino, peut-être à nouveau le retour d’un des personnages secondaires du premier arc (Rémi ? Guillaume ? Roxane ?); faire intervenir les parents Beynac et Godefroy; développer Dominique et Jacques, les créateurs du Paradis, voire Mario, le videur.
Il restait bien de la matière…
Les nouvelles heures joyeuses
En 2008, j’ai voulu redonner vie à tous ces personnages qui me restent chers.
L’action se déroulait cinq ans après l’épisode fantôme.
Exilé dans un trou après son CAPES d’histoire, Laurent revient en ville pour rendre visite à son père, qui a fini par accepter son homosexualité. Célibataire depuis que Tiburce a décidé d’avoir des enfants, il cherche encore le grand amour (on ne se refait pas!). Après dîner, il sort faire « un tour en ville » et ses pas le ramenent naturellement sur les lieux du crime, place de la Mare au diable.
A la place du Paradis, s’élèvent les palissades d’un chantier et un panneau annonce la construction du Parc de la Mare aux anges, un complexe d’habitations semi-collectives HQE. Dépité, Laurent entre dans un autre bar, le MacDaffy (ou Duck Burger), où il retrouve Dino sans sa perruque, et Tony, un ancien guest DJ du Paradis qu’il avait oublié mais qui se souvient bien de lui.
De son côté, Thomas est un bon père de famille (suite à la tragédie sus mentionnée) et voit son aîné, Cruz, seize ans, sortir nonchalamment du placard. Virginie, elle, est devenue responsable des Ressources Humaines dans une entreprise de bâtiment où elle doit cacher sa nature. Contre toute attente, Greg s’est mis à s’intéresser à l’informatique et travaille dans une SSII de la zone franche des Tourterelles. Le soir, en secret, pendant que les autres regardent Plus belle la vie à l’heure où ils prenaient jadis l’apéro, Noël a repris des cours de nu à l’école des Beaux Arts.
L’action tourne autour d’un nouveau personnage, Albin, qui intéresse tout le monde. Embauché par Virginie, qui le verrait bien devenir son escorte officielle, il fête son embauche dans un bar où il séduit Laurent. C’est également lui le modèle dans le cours de Noël… Seul Greg reste insensible à son charme. En cherchant des informations sur lui pour le compte de Virginie, il tombe par hasard sur un blog qui raconte… Les heures joyeuses.
Une nouvelle intrigue s’ouvre où on cherche à découvrir qui écrit ces aventures sans même changer le nom des innocents.
Bien entendu, tout se termine dans la joie et l’harmonie. Je ne suis pas allé jusqu’à la fin de l’intrigue mais Laurent et Tony finissent par se retrouver et commencer ce qu’on imagine être une belle histoire d’amour.
L’ambition était grande et l’idée peut-être un peu fausse.
Au final, le projet aurait été bien plus long qu’une heure joyeuse ordinaire. Il aurait eu la taille d’un roman. J’étais même allé jusqu’à inclure le texte de l’épisode 10 dans l’histoire, comme une mise en abyme.
Le propos était intéressant : il partait du constat que tous les lieux gays commençaient à perdre leur raison d’être. Je citais en exergue Vito Russo dans The Celluloid Closet : « Tu vois, un jour nous serons acceptés et le monde nous comprendra et nous acceptera, et quand ce jour arrivera, ce monde secret va nous manquer ».
Le pitch aurait pu être: Laurent se cherche une cause et il trouve l’amour.
En plus, je voulais déconstruire le roman d’identification. La dernière heure joyeuse aurait fermé la porte à toute autre velléité de suite.
Le ton, quant à lui, était très nostalgique. Et quand je le relis maintenant, je retrouve la même amertume que lorsque que j’ai lu Michael Tolliver Lives, le retour d’Armisted Maupin aux Chroniques de San Francisco. Comme je lui en voulais d’avoir fait vieillir ses personnages, je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée de faire la même chose aux enfants du Paradis.
Quelque part, c’est peut-être mieux de laisser Dino, Greg, Virginie, Thomas, Noël et Laurent là où ils sont: coincés dans leur bulle, à l’aube du troisième millénaire.
Petit à petit, en les laissant là, ils acquièrent une petite saveur « vintage » qui au bout du compte, n’est pas désagréable.