Dans la continuité d’Une cartographie de l’inconscient, mais délibérément sans notes, sans croiser mes informations et après un visionnage unique, je livre ici mes impressions, épisode par épisode, sur la troisième saison de Twin Peaks. L’analyse s’affinera sans doute et je suis prêt à voir mes interprétations contredites dès l’épisode suivant. C’est aussi le charme de l’oeuvre : on ne sait jamais à quoi s’attendre.

 

SPOILER ALERT : Ces notes sont publiées avec un décalage de plusieurs semaines par rapport à la première diffusion de chaque épisode, mais pour ceux qui n’ont pas encore vu la série, elle contiennent des informations qui peuvent gâcher le plaisir de la découverte.

Le retour

Twin Peaks est une friandise pour tous les étudiants en cinéma par ses constantes mises en abyme. Le jeu de réflexions qui était déjà omniprésent dans les deux premières saisons, est encore accentué — démultiplié — dans ce premier épisode. On reviendra plus tard sur les dédoublements au sein de l’histoire mais, rien qu’avec le sous-titre de la saison, on retrouve l’effet miroir entre la production et le monde fictionnel.

La troisième saison est un retour très attendu de la série, un retour de Lynch et Frost sur le petit écran, un retour de presque tous les acteurs dans leur rôle iconique, mais aussi, comme thème central de l’histoire, le retour de Dale Cooper, qui s’échappe tant bien que mal de la loge noire.

 

Reflection of the viewer
Reflet du spectateur

 

Une scène frappante, dans cette thématique, est celle ou on découvre un jeune homme — je n’ai pas encore retenu son nom — chargé d’observer et d’enregistrer sans cesse un cube de verre vide. Assis sur un canapé qui reflète celui du téléspectateur (à la manière des sitcoms classiques), il est posté devant une vacuité continue, dans l’espoir hypothétique de voir apparaître quelque chose. On sait à la lecture de l’Histoire secrète de Twin Peaks que les recherches sur le monde des loges dépassent de loin la petite ville du nord-ouest. Nous sommes ici à New York. Evidemment, à la fin de l’épisode, c’est Dale Cooper qui apparaît dans la boîte. Dans l’univers de la série, le décor de cette scène est un reflet de celui de la loge noire avec son canapé, sa lampe et — on y reviendra plus loin — un bonsaï. Au niveau  de la symbolique parfois peu subtile de David Lynch, cette boîte vide, scrutée en permanence, où le temps s’étire à l’infini, c’est une représentation de la télévision. On connaît les rapports du réalisateur avec ce média, et on se souvient de la première image fracassante de Fire Walk With Me. Ici, elle ne s’anime qu’au retour de Cooper. Et, pour que le commun des mortels ne manque pas la mise en abyme, l’image du détective se démultiplie de manière télescopique dans un effet qui semble à première vue exagéré.

A première vue seulement.

Ramifications

Dans les quelques images qui « résument » les saisons précédentes, en plus de l’évidente réplique de Laura Palmer, I’ll see you again in twenty five years [je vous reverrai dans 25 ans], on revoit Laura Palmer faire son signe cryptique en disant Meanwhile [pendant ce temps / en attendant].

 

Laura Palmer - Meanwhile
Meanwhile

 

On se perd en conjectures depuis des années sur ce geste. On peut y voir, entre autres, une variation immobile du mot arbre dans le langage des signes américain. C’est l’idée que je retiens dans mon interprétation personnelle et provisoire de cet épisode.
Les arbres ont toujours eu une grande importance dans Twin Peaks. Dans ce nouvel épisode, ils sont très présents dès les premières images. La femme à la bûche continue de transmettre leurs messages. Plus significatif encore, « le bras », incarné jusque-là par un nain, a évolué pour devenir un arbre dénudé à l’image des sycomores qui marquent l’entrée des loges.

 

Evolution of the arm
L’évolution du bras

 

Comme la bûche de Margaret Lanterman, le « nouveau bras » délivre des messages.

Et pour le fan de la série, l’entrée dans la chambre rouge s’accompagne depuis l’épisode 30 de la chanson Under the sycamore trees, dont les paroles répètent sans cesse :

And I’ll see you / And you’ll see me / And I’ll see you in the branches that blow / In the breeze / I’ll see you in the trees / I’ll see you in the trees / Under the sycamore trees.

Comme cela c’est produit dans les saisons précédentes, un détail insignifiant dans une scène liée aux loges revient chargé de sens, réencodé, dans une scène ultérieure. Dans celle-ci, ma petite théorie, c’est que là où la seconde saison développait la thématique du dédoublement, cette troisième saison va plus loin en introduisant la ramification.
Le manchot présente un arbre animé comme « l’évolution du bras », bras qu’il s’était coupé pour échapper à l’emprise de Bob et qui avait pris forme humaine en devenant le nain. Le manchot, le nain, son double, le géant et le vieil homme étaient déjà des jeux de miroirs, mais la transformation du bras en arbre annonce une démultiplication plus large encore.

Dans le monde « réel », on voit se reproduire le drame de Leland Palmer dans le personnage interprété par Matthew Lillard. On ne peut plus parler de dédoublement ou de reflet (du moins avec les informations qu’on a pour le moment), il s’agit donc bien d’une variation sur le même thème, avec des éléments communs reconnaissables et d’autres entièrement nouveaux.

C’est cette démultiplication qu’annonce l’effet de mise en abyme à l’apparition de Cooper dans la cage de verre.

Et le lien avec les arbres est souligné par le bonsaï sur la plateforme d’observation.

Le temps

Le retour à Twin Peaks après vingt-cinq ans entraîne obligatoirement la thématique du temps.

Au niveau de la production, la durée qui sépare le trentième épisode de cette nouvelle saison relève de la coïncidence. Il n’était pas prévisible, quand Laura Palmer a prononcé ces mots, que la série revienne en 2017. D’ailleurs, 25 ans nous amenaient alors en 2016. Mais, comme toutes les coïncidences qui ont eu lieu sur le tournage, celle-ci s’est retrouvée inscrite dans l’histoire. Certes, on entrevoyait un Cooper âgé dans la chambre rouge, mais on n’imaginait pas que les autres personnages présents dans ce monde onirique/parallèle soient sujets au vieillissement.

J’ai émis l’idée que le temps des loges pouvait s’écouler à l’envers. C’est peut-être encore vrai. C’est sans doute plus complexe. Toujours est-il que la question Is it future or is it past? [est-ce futur ou est-ce passé] y est posée de manière explicite. Et encore une fois, ce nouvel épisode vient éclaircir un des anciens mystères de la série.

La scène où le bon Cooper écarte les rideaux rouges et s’apprête à reprendre sa place dans le monde réel est une illustration littérale du poème obscur de son premier rêve :
Through the darkness of future(s) past / The magician longs to see / One chance (chants) out between two worlds / Fire, walk with me.

On a longtemps débattu sur l’homophonie entre one chance  (une occasion) et one chants (quelqu’un psalmodie). Dans cette scène au moins, la question est tranchée. Nous sommes dans l’obscurité d’un endroit où on se demande « est-ce le futur ou le passé? », Cooper, s’il n’est pas magicien, est une des rares personnes à être entrées vivantes dans les loges, et il se languit de voir (à travers les rideaux), une occasion de sortir entre deux mondes.

Il ne manque que Fire, walk with me.
Mais nous n’en sommes qu’au premier épisode.

Et en vrac

Retrouver les personnages de la série sans lien apparent avec l’histoire, comme un clin d’œil au anciens fans : le docteur Jacoby qui se fait livrer des pelles (on remarque le dédoublement de ses lunettes de soleil), les frères Horne dans une scène parallèle à celle qui les a introduits au public au début de la première saison, Sarah Palmer qui regarde intensément un documentaire sur les prédateurs dans la nuit, reflété dans les miroirs de sa maison, comme Bob en son temps, une référence à Philip Jeffries…
Et puis le retour au Bang Bang Bar et l’entassement de tous les aspects « soap opera » qui arrive dans le dernier recoin de l’épisode, aussi déroutant que la réapparition de Walter Olkewicz derrière le bar — il faudra lire le générique pour comprendre qu’il ne s’agit pas de feu Jacques Renault, mais de son frère (?) Jean-Michel.

 

Sarah Palmer - reflexion of predators
Sarah Palmer – le reflet des prédateurs

 

Lynchien par les thèmes, la violence, l’imagerie et la lenteur, Frostien dans les symboles qui résonnent avec la mythologie de la série, ce retour à Twin Peaks a pu dérouter mais il remplit son contrat. On a envie de voir la suite, même si, clairement, on n’est plus dans la continuité directe de ce qu’on a connu. Ce qui surprend, c’est que tout y est décodable.

Les prochains épisodes se chargeront bien sûr de me contredire.

 

A suivre : Le troisième Cooper

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.